L’Environnement culturel de Molière en pays d’oc

Le XVIIème siècle ?

“Le Grand Siècle” disent les partisans du roi soleil.

“Le siècle des Saints” dit l’Eglise.

“Lo malsegle” disent les pays d’oc (siècle maudit).

De quelle façon, ces pays situés au sud de la Loire ont entouré la dizaine d’années que Molière vécut en leur sein ? Et pourquoi parler de siècle maudit ?

 

 Ces pays doivent leur nom à leur langue : la langue d’oc. Ele ne figure pas parmi les trois langues recensées par les laudateurs du classicisme. Elle n’est ni la langue du roi, ni la langue des “honnêtes gens”, ni la langue des “vilains”. Elle est une non-langue.

Dans ses lettres d’Uzès (1632), Racine ne dit-il pas : “Nous appelons ici la France ce qui est au delà de la Loire.Ce pays-ci passe pour une province étrangère.”

Les pays d’oc sont “étrangers”. En fait, ils sont (pour la plupart) “pays d’Etat”. C’est un privilège qu’ils ont acquis en passant sous la tutelle du roi de France. Nous savons de quelle façon ces “ralliements” s’opérèrent. Au XVIIème, que restait-il des droits culturels de ces “pays d’Etat” ?

L’inquisition médiévale avait mis sous surveillance la langue d’oc des universités de Toulouse et de Montpellier. Avec l’édit de Villers-Cauterets, François 1er avait chassé l’occitan de tous les actes, postes et places administratifs. Certains historiens ajoutent : c’est l’imprimerie qui a eu sa peau. Certains ethnologues confirment : c’est le passage de l’oral à l’écrit qui a eu son âme... (1)

Des statistiques établies sur les actes de mariage des zones rurales de la Haute Garonne et du Tarn précisent qu’en 1686, 81 à 100 % des époux sont incapables de signer. (2) Autrement dit : la trés grande majorité de la campagne n’accède ni à l’écrit, ni à l’imprimerie. Elle est monolingue. Dans les villes, les classes aisées sont bilingues.

Bref, les rescapés de “l’Illustre Théâtre” arrivant en pays d’oc en 1647 sont confrontés à un environnement culturel fortement occitanophone. Dès lors, une question :

Cela peut-il leur déplaire ?

Oui, s’ils vivent de ce public-là.

Non, s’ils n’en vivent pas.

Et ils n’en vivent pas car ils se vendent à un protecteur, mécène aristocrate qui leur prête son nom, ou à ces fameux Etats qui sont disposés à bien payer les artistes relevant de la langue du roi et recommandés par un protecteur de haut lignage.

Alors, une autre question :

De par leur statut privilégié, les rescapés de “l’Illustre Théâtre”

ont-ils pu échapper à cet environnement cultturel occitan ?

Pour répondre à cette question, nous n’adopterons pas la méthode des emprunts réciproqu es mais la déduction des immersions inévitables, voire même des attractions-répulsions inhérentes au métier de comédien en campagne.

 

Au pays de Cocagne

 

Un pays n’existe pas que par sa langue. Il est dans ses paysages, dans ses saveurs, dans ses odeurs et ce sont ces diverités qui sautent aux yeux, aux oreilles, au palais de nos comédiens en voyage.

Agen, Toulouse, Albi, Castelnaudary, c’est “lo pais de Cocanha”. Au XVIème siècle, le pastel lui a donné les moyens d’une architecture baroque d’inspiration humaniste, bourgeoise et “occitanienne” (cette aptitude à métisser l’Espagne et l’Italie dans le substrat géo-historique local) .

Au XVIIème, la Contre-Réforme catholique est en train de lui donner les moyens d’un second souffle, qui appelle aussi au métissage des influences italienne et espagnole mais qui surprend surtout par ses obsessions macabres et sanctificatrices, en particulier Toulouse (St Sernin, la Daurade...), Béziers :“Béziers est rempli d’églises et de couvents au point que le tiers de l’enclos de la dite ville en est pour le moins occupé...” (Déclaration consulaire de 1654)

Ce culte des saints mobilise des foules de pénitents accompagnés de leurs “mandaires, orosaires, esquilhaires, plorairas, deteulaires, escudelaires, chaplaires... “

 

Le contraste entre ces deux manifestations du baroque occitan ne peut qu’étonner nos comédiens plus ouverts à la création qu’à la mortification. Ils n’y voient certainement pas

la conséquence du recul occitan consécutif au couronnement catholique et à l’abdication aquitano-béarnaise (“nationalitaire”) de Henry IV. Ils n’y voient certainement pas non plus l’habileté de l’Eglise (3) à contrattaquer en s’assurant une hégémonie culturelle qui repose également sur des commandes ré-activant les arts et l’ artisanat locaux. “Entre 1600 et 1670, dans la floraison catholique, qui dit peinture, sculpture ou architecture dit bien souvent commandes d’Eglise. A Narbonne, Agde Béziers, les petits peintres locaux, comme Pierre Barral, Jean Soleil ou Antoine Roudière fabriquent à la demande, les rétables et tableaux d’autel, destinés à représenter “St Jean dans le chaudron” ou “Marie, Jésus, et trois saints”. Les églises neuves surgissent du sol en grand nombre, surpeuplées d’enfants de choeur et de desservants. Maçons, architectes, sculpteurs, grâce à elles ne chôment pas...” Histoire du Languedoc” (Sous la direction de Pierre Wolff - Edition Privat - Toulouse 2000).

Même si les souvenirs d’un comédien comme d’Assoucy laissent supposer que l’artiste en campagne est peu regardant sur les gens et les pays traversées, les anecdotes jalonnant le récit témoignent de l’évidence des confrontations (4).

 

Sur le chemin des libertins

 

Nos voyageurs comédiens ne découvrent pas le pays au hasard des chemins. ils sont sous la protection de grands seigneurs, gouverneurs de Guyenne comme d’Epernon ou du Languedoc comme de Bourbon-Conti, ou bien de commandeurs tels les d’Aubijoux, du Roure, de Bioulès... Ce sont d’anciens compagnons d’armes du duc de Montmorency décapité en 1632 par Richelieu, toujours liés à “Monsieur”, frère du roi, l’incorrigle comploteur. IIs ont comploté avec lui et Cinq Mars en 1642 à Narbonne. Et ils sont en train de comploter une nouvelle fronde avec Condé. Dans le Midi, elle durera de 1648 à 1660, la presque totalité du séjour que Molière et les siens feront en ces lieux.

Tout ce réseau libertin se retrouve au Marais, à Paris. Là, les compagnies renouvellent annuellement leurs équipes. Là, les libertins frondeurs choisissent les compagnies qu’ils

feront “tourner dans leur province”. Là (en particulier pour Carême), se croisent artistes, philosophes et nobles sires qui sont en mal de liberté.

La culture d’oc est aussi en souffrance d’espace. Est-ce pour cette raison que les libertins en question se sont faits protecteurs des belles lettres et traditions occitanes ? Est-ce un devoir qu’ils se donnent en souvenir de leurs pères serviteurs fidèles d’Henry de Navarre, premier grand prince d’Occitanie ? Est-ce le modèle du “gentilhomme gascon” que chantèrent si bien les poètes de la première renaissance d’oc : les du Bartas, Ader, Larade, Garros... qui les inspirent ? Est-ce un rituel auquel ils s’obligent pour se sentir investis par ce pays d’oc qu’ils sont censés défendre de par Dieu et la chevalerie ?

Quoiqu’il en soit, ils participent à la revalorisation de la culture occitane et ils ne peuvent envisager réceptions officielles, entrées royales, fêtes en l’honneur De ... sans :

- la présence de “la dansa de las trelhas”

- la performance érudite des “ramelets”, “laus”, “arengas” (bouquet d’hommages, de satires, jeux d’esprit, galenteries...) produite par les poètes du cru.

Cette appelation de “poète du cru” est elle-même trop “française” pour définir correctement leur fonction. Elle n’est pas qu’artistique, elle est une ambassade déléguée par l’”âme du lieu”, un lieu d’autant plus sacralisé qu’il est devenu une utopie de l’Histoire.

“Noirigat de Tolosa, me plai de mantener son lengatge bèl”. .. dit Godolin (1580-1649).

A Toulouse, il est le maître incontournable des “floretas mondinas”. Il a la gourmandise du mot ocitan. Son impressionnisme fait d’images et de sonorités intimes vont par delà le sens et le sensible jusqu’ “à l’identité de l’intuitif”. Il crée le personnage du “pefon”, le “pitre de haut goût” qui intervient dans le prologue des ballets pour faire “déraper” les registres.

A Montpellier, Isaac Despuech-Sage (1583-1642), le “gai poëta” qui n’hésite pas à mettre le masque du satyre pour proclamer les droits de “la musa barbara” en même temps qu’il sait passer les gants de la préciosité pour se rire du snobisme érotico-littéraire des pédantes du Clapàs.

A Montauban, Joan de Valès publie en 1642 “lo Virgila desguisat” qui est une mise en scène burlesque de l’Enéide. La même année, Scarron publie “le roman comique” salué comme fondatrice du burlesque. Pourquoi l’une plus que l’autre ?...

Nous pourrions ajouter :

A Agen, Cortete de Prades ( 1586-1667) qui suit la convention à la mode des pastorales mais les anime de personnages dignes de figurer dans la nomenclature de la “comedia”espagnole du Siècle d’Or. Son “lengatge fardat” (masqué) les double cependant d’un écho grotesque, populaire et critique.

A Aix en Provence, Zerbin (1590-16) qui promeut un théâtre de bateleurs proche de la “comedia dell’arte”.

A Narbonne, Bergoing... A Beaucaire, Michel.... A Béziers, Bonnet et Michaille... Partout où Molière passa existaient ces auteurs de pays sollicités par le public local et mis à contribution par les protecteurs libertins. Immanquablement des rencontres eurent lieu, comme le suggère une gravure du musée Paul Dupuy à Toulouse, gravure mettant face à face Godolin et Molière.

 

Dans le vestibule des Etats

 

L’équipe Dufresne-Béjart-Molière... déambulant sous la protection des aristocrates frondeurs profitera-t-elle de cette position pour observer l’état des lettres occitanes ? Et l’état de la société occitane ?

Nous ne voulons pas parler des publics que le comédien de “la haute” rencontra. Le prix des places, la peste, les couvre-feux, les soldats (dits “gastadors” quand ils sont en service donc en pension obligatoire chez l’habitant ou “passe-volants” quand ils sont débauchés donc en brigandage) , la guerre aux populations frondeuses, le refoulement des “étrangers” aux portes de la ville, la quasi-impossibilité de se déplacer sur les routes durant les années 1651, 1652 et 1653 ... devaient limiter singulièrement les accés au spectacle. Nous voulons seulement parler de la société réelle traversant ces événements-là.

Inévitablement, à table, au lit, dans le vestibule ou le salon de leurs hôtes de marque, les voyageurs-comédiens entendront parler de l’histoire de ces pays d’oc qui se retrouvent au coeur de la Fronde rebondissant de Bordeaux-1648 à Marseille-1660. Ils entendront certainement parler aussi des événements qui précédèrent la Fronde et pourquoi pas des raisons profondes qui la prolongeront... D’ailleurs, dans le Midi de ces temps-là, on n’appelait la révolte une fronde mais les révoltés par les noms qu’ils se donnaient : les “Pitauds” du Bordelais (1548), les “Cascavèus” (1630) ou les “Ganifets” (1653) de

Provence,les “Coulats” de Montmorency (Languedoc 1632), les “Croquants” du Rouergue (1643), les “Ourmaus” de Guyenne (1648), les “Branlaires” de Montpellier (1652), les “Invisibles” de Gascogne (1650,1663) ... et bientôt les “Camisards”, les “Mascs”...

Ce pays d’oc a une culture de la révolte (son histoire) et une révolte de la culture (ses poètes). L’équipe des Béjart, Molière, La Pierre... invitée pour distraire les Etats du Languedoc, à Narbonne(1650), Carcassonne (1651), Pézenas (1650, 1653, 1655), Montpellier (1649, 1654), Béziers (1656) ne peut pas ignorer ce qui se voit, ce qui ce dit, ... et même ce qui ne se dit pas puisque le rôle de ces Etats est de se pencher sur tout cela. Et nos “artistes aux champs” traînent par là...

Les Etats sont aussi un spectacle : les arrivées sous l’Arc de triomphe, la Messe et son défilé d’ouverture, la cité pavoisée, tapissée, embaumée de thym et de lavande, les serments inauguratifs qui rappellent ces fameux principes d’autonomie provinciale... “confirmés par l’empereur Auguste en personne, conservés par les Goths dans les quartiers de Septimanie, par le roi Pépin vainqueur des Sarrazins, par St Louis lors de la réunion au royaume.” (Protocole d’ouverture des Etats du Languedoc)

Et le soir, place au concert, au bal (masqué ou pas), au théâtre... et à ce que l’on peut imaginer de la nuit de ces Etats qui chaque année durent un à deux mois.

Entre temps, ce sont les fêtes consacrées à tel ou tel grand de passage, à tel événement militaire ... et bien sûr à telle communauté célébrant son identité.

 

Par les rues sur les chars

 

Les comédiens de Dufresne devenus les comédiens de Molière ne sont peut-être pas invités à se produire dans ce cadre. Quoique La Pierre soit cité comme participant à las “Caritats” de Béziers...

Conférer en annexe le chapitre consacré à :“Situation du Théâtre de Béziers : Molière”

par Philippe Gardy dans le Catalogue de l’exposition paru en 1983 sur “le THEATRE DE BEZIERS” (C.I.D.O.) .

Qu’est-ce que “las Caritats” ?

C’est toute une cité qui se met en scène en convoquant son passé, son présent et ses utopies. Cette célébration révèle un triple enjeu :

- L’enjeu communautaire car la cité doit passer un pacte annuel de solidarité pour durer.

- L’enjeu religieux car elle en appelle à Dieu, à ses saints tutélaires et à sa mythologie pour renouer avec les “énergies sacrées”.

- L’enjeu de prestige car elle se montre au monde pour témoigner de sa santé, de ses valeurs , de sa puissance.

Trois enjeux pour “un Triomfle” :

- Le triomphe de la charité qui est la redistribution symbolique des richesses pour plus de justice et de fête, un “potlach” (diraient le anthropologues) si l’Histoire n’avait pas amoindrie la portée sociale et économique de cette geste communautaire.

- Le triomphe du don de soi et de tous, pour le re-équilibrage des devoirs et des droits.

- Le triomphe comme consensus reposant sur la liberté de tout dire et ensuite sur la réserve de tout consentir pour assumer la bonne marche de la cité.

La dramaturgie de ce spectacle grandiose tient en une métaphore, celle du corps du Christ reconstitué par les classes d’âge, les corps de métier, les trois états et les deux sexes qui fondent l’organicité de la cité ( le clergé : l’âme, les corporations : les mains, les intellectuels : la tête, etc...). Chacun doit trouver sa place en fonction du principe :

“Cadun es l’egal de l’autre mas que cadun demoresse a la sieuna plaça.”

Le Corps symbolique défile à travers un parcours initiatique. A Béziers, celui que St Aphrodise, le premier évangélisateur, a parcouru, la tête dans ses mains, aprés que les Romains l’aient décapité. Il a à ses côtés “lo Camel”, qui est l’animal totémique local conduit par Papary en costume de Turc. Il a derrière lui “la Galera”, un navire qui remonterait au temps des chevaliers de St Jean de Jérusalem, lesquels délivrèrent la ville... La chronique ne sait plus si cette délivrance se fit contre les Alamans (troisième siècle), contre les Vandales (cinquième siècle) ou contre les Sarrazins (huitième siècle)... alors que les chevaliers de St Jean renvoient au treizième siècle.

De lieu emblématique en lieu fondateur, et de paroisse à paroisse, le défilé déambule et s’arrête pour donner des “boutades”...

“ ... sur le coquinage et la pauvreté;... la mode; ...les plaintes d’un paysan sur le mauvais traitement qu’ils reçoivent des soldats; ... l’Histoire du mauvais traitement fait par ceux de Villeneuve à la ville de Béziers pendant la contagion; ... le Discours Funèbre fait par l’ambassdeur de Pepezuc sur la discontinution des anciennes coutumes ...l’Histoire de la réjouissance des chambrières sur le nouveau rejaillissement d’eau des tuyaux de la fontaine; ...” mais aussi sur des sujets plus littéraires : “la Pastorala del bergier Silvetre amb la bergieira Esquiba. ...” ou mythologiques : “Le Jugement de Parîs....” ou “folkloriques” : “l’Histoire de Papary et du Camel...”

Il semblerait que ces pièces furent jouées soit sur tréteaux fixes, soit sur tréteaux ambulants (des chariots) comme ce fut le cas en Espagne lors des autosacramentales.

Martel, leur éditeur lapidaire, parle de “gentillesses historiées”. Elles tiennent de la pastorale, du ballet et d’une “commedia dell’arte” jouée sans masque, mais la fête est un masque que la cité entière se met pour pouvoir se raconter sans limites de styles, sans limites de temps, sans limites de lieu, sans limites de langue, puisque l’oc et l’oïl co-habitent, y compris des formes métissées à l’espagnol et l’italien. Tout y passe : l’actualité de l’époque, la chronique locale, les bergeries à la mode, le folklore languedocien, les héros et anti-héros biterrois...

Il convient d’ajouter à ces manifestations théâtrales et chorégraphiques des jeux, ainsi

“lo jòc del camel” qui est dans la provocation réciproque du chameau (en effigie de bois plus grande que nature poussée par les “Camelots” et excitée par la musique totemique) avec la foule qui “attisse” et qui ne veut pas être “nhaquée”. Ainsi “lo jòc de la galera” qui est une évocation historique mais également une performance “sportive” : 14 Turcs frappés de la Croix de Malte doivent s’emparer de la Galère défendue par 8 “Galiots”, eux-mêmes frappés de la Croix de Malte. La Galère (grandeur nature) peut tournoyer sur elle-même, avancer-reculer... L’exploit se joue en farces et à coups de bâtons, un “match de catch” avant l’heure et aussi une “bonne-oeuvre” puisque la Galère est chargée de recueillir les dons qui seront redistribués.

Ces manifestations ethnoscénographiques entrecoupées de messes, danses, discours, louanges et satires n’ont de limites que dans le calendrier : l’Ascension et seulement pour l’Ascension !

Elles sont identifiées de façon certaine entre 1610 et 1660. Elles seraient apparues au Moyen Age. Il est possible de se demander si elles n’ont pas héritées des traditions carnavalesques quand celles-ci furent chassées de leur berceau pré-printanier et que la Contre-Réforme condescenda à quelques largesses d’esprit pour confondre le puritanisme huguenot et pour cantonner la liesse populaire à des dates moins suspectes : l’Ascension plutôt que “la lune de Février”.

L’autre limite est dans le public : ce sont les “janencs”, c’est-à-dire ceux de la St Jean (Béziers et environs), autrement dit : ceux qui sont habités par “l’esprit des lieux” plus leurs invités, car “las Caritachs” ne sont pas que spectacle mais rituel supposant une participation et des codes.

Cette condition exclue-t-elle les comédiens de passage ? Oui parce que “las Caritachs” sont injouables ailleurs. Non parce que chaque invité peut “en avoir plein les yeux et plein le coeur” s’il admet les deux principes que Molière sût si joliement écrire :

“... et maintenant ne quittons pas la nature d’un pas.”

“...et puisque rire est le propre de l’Homme”.

Alors qu’est-ce que Molière est venu faire dans cette galère ?...

 

Une terre promise entre légende et Histoire

 

Curieux amours que ceux de Molière et du Languedoc ?

Prenons l’exemple de Narbonne. Il y serait venu une première fois en 1642. Il avait 20 ans et il remplaçait son père comme valet de chambre du roi Louis XIII. C’était une attribution qui revenait au tapissier du roi lorsque le roi partait en campagne. Or Louis XIII, ainsi que Richelieu, venait à Narbonne, ville frontière et ville de front dans la guerre qui opposait la France à l’Espagne. Et dans Narbonne, Cinq Mars complotait en liaison avec le frère du roi pour renverser le premier ministre.Cinq Mars fut dénoncé.

 

La légende dit que le jeune Molière eût vent de la dénonciation et qu’il prévint le comploteur, lequel parvint à s’échapper jusqu’à Montpellier où il fut arrêté.

Quittant le front, le roi prit du repos prés de Nîmes avant de regagner la capitale. En cette station de Montfrin, une troupe vint le divertir.

Les Béjart étaient de cette compagnie et Molière rencontra Madeleine qu’il retrouva à Paris, au Marais, pour fonder l’Illustre Théâtre.

Faillite de l’Illustre Théâtre.

Arrestation de Molière pour dettes.

L’argent et l’honorabilité de son père pour le délivrer.

Et c’est reparti pour l’Histoire...

Esprit de Modène, l’ex-amant de Madeleine (et père supposé d’ Armande), chambellan du grand comploteur Gaston d’Orléans (l’omni-présent frère du roi), qui favorise l’entrée des rescapés de l’Illustre Théâtre dans la compagnie en partance pour les terres du duc d’Epernon...

Et puis, Narbonne une deuxième fois, en 1649-50.

Les archives de la ville disent qu’il tint sur les fonts baptismaux un enfant de la balle né de père inconnu et de mère troupière : Anne.

 

Puis-je raconter un autre théâtre occitan que Molière ne put éviter ?

Cette pièce n’a pas d’autre titre que celui d’un baptême à Noël en pays narbonnais, pas d’autres acteurs que le commun des gens de ce pays, pas d’autre auteur que la tradition de ce pays. Pour Molière parrain, ce spectacle se joua en 5 actes. C’était la fin de l’an 1649 et le début de l’an 1650...

Acte 1 : la grossesse d’Anne

Anne se dit : “Sera-t-il mâle ou femelle ?”

Les gens d’auberge lui répondent : “Vòls saber s’auràs filh o filha

E ben te cal plantar una quilha

En una taula de jaubert

Se lo jaubert demòra verd

Que non se seque incontinent

Segon que ditz dòna Advinent

El es senhal qu’es prens d’enfant.”

( Test de la feuille de persil qui sèche si l’enfant attendu est femelle, qui reste vert s’il est mâle.)

Les bonnes gens lui disent encore : “Ara te cal una costòsida.” (une accoucheuse)

“E te cal nomenar lo dròlle davant d’emprenhar.” (le prénommer avant d’accoucher ...

pour prédestiner à son incarnation en situant les qualités du saint référentiel.)

Ici, les accoucheuses sont élues à la majorité des suffrages exprimées par l’assemblée des mères réunies dans l’Eglise St Paul où l’enfant sera baptisé. Au futur parrain Molière de contacter “costòsida” et “rector” (curé) dans la dite église...

Acte 2 : l’accouchement d’Anne

Afin que cela se passe bien, ce doit être une vraie veillée, dans une grande salle où les enfants s’amusent, où les hommes jouent aux cartes, où un chaudron d’eau bout au même feu que la marmite qui prépare le bouillon de poule que la maman devra boire pour se revitaliser.

Les femmes s’affairent autour d’Anne, elles lui déconseillent le lit :

“Aicì , la jacenta se plaça sus lo palhat davant lo fuòc.”

Elles présentent à l’accouchant e une paillasse couverte d’un charpie et d’un drap, face au feu. Au milieu des fumigations de mélisse et de romarin, une vieille psallmodie :

“Quand la femna prens se vòl ajaire Quand l’enceinte veut accoucher

se va vesetz que pena a faire si vous voyez qu’elle prend peine

dostatz i los anels dels dits ... ôtez lui les bagues des doigts...

Los planhs de Santa Margarida La passion de Ste Marguerite

vos li faretz legir de costat vous lalirez à ses côtés

en li fasent minjar una rostat en lui faisant manger un rôti

trempada dins de bon ipocràs trempée dans un bon hypocras

o un bon platàs de saboret gràs..” ou une bonne soupe à l’os.”

Ouf ! c’est un garçon. Jean, il s’appelle. Le parrain l’embrasse et le présente à la maman.

L’accoucheuse : “Prenetz los lièits !”

Molière : “Quoi ?” “

L’accoucheuse : Le placenta”

Et on lui chante en riant :

“Non cal pas jitar l’embonilh “Il ne faut pas jeter le cordon

que tombarà del mainatge qui tombera du petit

car el es bon pel fuòc salvatge destinez le au feu sauvage

Lo daissatz pas al cat manjar Ne laissez pas le chat le manger

Vos pissaria tot temps al leit Le petit pisserait au lit

tan lo jorn coma la nèit .” de jour comme de nuit.”

Alors on conduit Molière enterrer le placenta sous un figuier.

Anne est heureuse mais bébé n’a pas de papa. Or la coutume veut que ce soit le papa qui lippe le sein avant la première tétée. Une jeune fille court chercher “lo popaire” . C’est un simple d’esprit qui doit téter avec un sac sur la tête, un sac enfoncé jusqu’aux yeux, afin qu’il ne voit pas le sein car un sein de femme qui allaite ne doit pas être vu.

“Una femna qu’alaita

non mostra pas la popa traita

Del colaret sera cuberta

car s’era descuberta

qualqu’un li poiria far perelh

la regardant del marrit uèlh.” ( ...par crainte du mauvais oeil.)

Une commère issue de ”la Montanha negra” s’ inquiète que Jean n’aie pas de papa.Elle donne à Anne “lo pater de lach” , une pierre d’agathe que les mères nourricières mettent à leur cou pour que le lait abonde.

Acte 3 : l’imbroglio de “Nadal”

Il faut baptiser l’enfant dans les trois jours mais cela tombe dans la période de Noël et ... “la Gleisa St Paul es confida d’estrambòrds”. (sur-occupée par les évvénements majeurs) Le parrain Molière attend avec le petit Jean...

Le 24, c’est la messe de Noël que la Contre-Réforme Tridentine vient de populariser au sud de la Loire. Les pays d’oc en étaient restès à la fête du solstice d’hiver à travers le rituel de “la soca de Nadal” . Ainsi le parrain est convié à porter la bûche au feu avec “lo pichon Joanon e de tustar la soca” (frapper la souche) pour recueillir quelques friandises, tandis que l’on verse “lo vinblanòt” sur la bûche en prononçant le sempiternel : “ que Dieu nos baila la graça de veser l’an que ven e se sèm pas mai que fuguessèm pas mens...”

Le 25, c’est Noël : pas le moment pour baptiser !

Le 26, “la St Esteve” , le jour du bas-clergé, avec le rituel de l’âne habillé en Evêque pour rendre un office d’esprit carnavalesque.

Le 27, les Sts Innocents avec le rituel de “l’episcopus puerorum” , autre office burlesque

au cours duquel les enfants sont libres de jouer à la messe et aux histoires sacrées ... qui deviennent de sacrées histoires.

Les jours suivants, ce sont les messes liées aux Calendes et les préparatifs pour nommer “lo rei de jovent” ( le roi de jeunesse). Un petit oiseau du nom de “Chichiri” (ou Pitpit ou Reipetit ou Zizi ) est lâché dans l’église. Qui l’attrapera sera roi...

C’est le 6 janvier que “lo rei de jovent” vêtu d’un manteau de pourpre frappé de la Croix de Malte et accompagné par toute une cour de boute-fêtes entre dans l’église pour saluer les consuls et présenter les voeux de la jeunesse. En échange, il se doit à certaines charges : organiser les festivités de l’année, avoir les moyens de les payer grâce à un droit de perception à l’encontre des nouveaux mariés, des mauvais payeurs, des privilégiés de la cité, et des étrangers de passage. Le parrain Molière doit mettre la main au gousset s’il ne veut pas que la jeunesse narbonnaise le promène “a contra-cuol de l’ase” (charivari).

Enfin le 10 janvier !

Acte 4 : le baptême de Jean

Il est grand temps de baptiser car un enfant non baptisé ne porte pas de nom. On l’appelle “ cadèl” (petit chien) ou “porquet” (petit porc) . Jean reçoit “son pichon nom” .

Maman Anne n’est pas du baptême. C’est l’affaire de la communauté. Le parrain paye la sonnerie des cloches, il doit jeter “las gòlinas” (dragées) aux enfants de la ville, sans quoi les enfants lui crient :

“Pairinous lou gous, mairinousa la goussa” (parrain le chien, marraine la chienne)

Acte 5 : les relevailles

Sans cette cérémonie de purification (l’ausimessa”), la maman ne pourrait sortir sans danger. La ré-intégration sociale de la mère se fait en deux temps :

- la classe des femmes mariées rend visite à Anne pour donner à l’enfant l’oeuf, le pain, le sel : “Siegues bon coma lo pan, plen coma l’uòu , savi coma la sal.”

- Anne voilée est accueillie sous le porche de l’église par le prêtre suivi de l’accolyte portant “un candelon” fondu à la Chandeleur qui est le jour de purification de la Vierge.

“E ara pairin, aquel pichòt pòt far camin !” (Maintenant parrain, ton enfant peut cheminer) concluent les hôtes qui savent l’importance de l’oncle et du parrain dans la tradition méridionale.

 

Adiu al pais d’Adiussiatz

 

Molière a fait dans le Midi ses classes de comédie, de politique et de vie. C’est peut-être ce qu’a voulu dire Marcel Pagnol quand il disait :

“Jean Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas.”

Cependant, l’initiation n’est pas achevée. Molière est devenu un homme, un acteur, un chef de troupe. Il lui manque une dernière épreuve pour qu’il devienne un grand dramaturge : l’expérience du malheur. Il la connut avant que ce pays ne lui dise officiellement “adiussiatz” . C’est comme cela qu’on l’appelait cette Occitanie sans nom, par le nom que toutjours elle disait quand l’étranger prenait congé : ‘Adieu-tu-es !”

Belle formule qui cache une autre réalité, celle que le passager nous reproche quand il nous dit : “Vous ouvrez trop tôt (et trop largement )la porte et vous la refermez trop vite (et trop petitement)”.

Entre 1653 (le jour où le Prince de Conti lui prêta son nom) et 1657 (le jour où il le lui reprit), Molière a eu le temps de voir un autre spectacle : la comédie que chacun se joue. Pas d’autre acteur, pas d’autre auteur que soi-même; pas d’autre public que son égo.

Les Etats du Languedoc pour “se faire croire” défenseur du Languedoc... Les Grands Seigneurs pour se faire croire porteur de cette dignité... Le Clergé pour se faire croire sauveur de l’âme du monde... Le comédien pour se trouver un protecteur qui fixera l’aune de son génie.

Ce spectacle est universel, me direz-vous. Bien sûr mais dans le Languedoc des années 1650, il connut un relief particulièrement abrupt. Molière eût pu l’entendre trés vite si son égo lui consentit la sensibilité nécessaire au décryptage des accents qui “musicalisaient” les dits Etats.

- En haut, c’est l’accent “ponchut” de ceux qui ont pignon sur cathédrale.

- Au bas, c’est l’accent-roc de la langue d’oc :

. “hard-oc” dels gavachs (les gens de l’arrière-pays)

. “cool-oc” dels baissòls (les gens de la plaine)

- Entre les deux, il y a “l’accent du Midi”, trois variétés de l’”accent de l’Oeuf” (place montpellieraine où trés tôt apparaissent pédants, pisse-froids et cuistres) :

. “le jaune d’oeuf” qui est celui du bourgeois mal à l’aise dans sa méridionalité

. “le blanc d’oeuf” qui est celui de l’aristocrate qui essait de devenir méridional

. “la coquille d’oeuf” qui est celui (comme Molière) qui laisse faire la nature de

la vie.

Apparemment, tous ces accents crient à l’unisson : Vive Dieu ! Vive le Roi ! Vive le Pays d’oc !

Fondamentalement, chacun de ces accents a ses intérêts et ses incompatibles...

“Mon esprit de mes pas ne suit pas la cadence...” dit Molière, en 1655, dans “le Ballet des incompatibles”. Il aurait pu ajouter : “Seul l’accent de mon coeur révèle l’inconstance...”

La Contre-Réforme a encouragé les prêtres à prêcher en occitan. Ils l’ont fait avec l’accent des séminaires et à présent la poésie religieuse occitane des séminaristes Amilhat, Dupont, Sicard, Alègre..., les “noëls” des Cazaintres, Jullia, Lasplaces, Dastros, Peraut, Laborieux, bientôt Saboly... sont utilisés par le prosélytisme piétiste, doloriste et (souvent) intégriste de la Congrégation du St Sacrement. (5)

Les bourgeois du parlementarisme ont vanté les valeurs du “paratge e de la tolerencia”

(fondatrices de la civilisation occitane) avec l’accent de l’oeuf. A présent, ils votent l’exclusion des bourgeois huguenots de tout consulat (1652), de toute charge du domaine public (1655). Bientôt ils demanderont le démantèlement des temples...

Les Conti ont joué aux Frondeurs libertins avec des airs de “gentilhommes gascons”. Maintenant ils se cachent derrière leur ombre : un certain abbé de Cosnac, qui ferait un trés bon Tartuffe alors que lui, Conti, ne démériterait pas dans le rôle de Dom Juan.

Les bourgeois protestants ont donné aux assemblées du désert des pasteurs prêchant en bon français à l’accent de Genève. D’ici peu, ils assisteront impuissants à l’apparition du “Théâtre Sacré des Cévennes” qui jouera, en aussi bon français, la transe illuminée de Cévenols sevrés de leur sein originel.

1657 : ils repartent les Molière avec quelque dix ans de Midi dans les neurones. A 35 ans, on n’oublie pas les baffes et les fastes de ses premiers amours. Alors commence une autre époque, ailleurs, celle du dramaturge.

Dans les pays d’oc, l’étau se resserre. Finis les chemins libertins, baroques et buissonniers. Place aux jardins “à la française” !

 

L’éteignoir

 

L’histoire de la culture d’oc connaît le prix de ces grands replis. D’abord, ils frappent les gens de l’écriture. Les poètes ne trouvent plus les tribunes (et les “couvertures”) qui permettent les adresses au public. S’il fut un temps pour la Contre-Réforme de prouver son enracinement en aidant les expressions du pays, il en est venu un autre où les expressions populaires sont bannies car le rapport des forces obtenu par la démagogie du pouvoir, l’ opportunisme des élites locales et la naïveté du commun permet de se passer d’alliences douteuses. La Fronde est vaincue. Le protestantisme est marginalisée. Les masques tombent et le vrai visage apparaît : la Contre-Réforme et la Monarchisme absolu criant à l’unisson “un seul dieu, un seul roi, une seule langue.”

. Aprés le temps de la tolérance arrive celui des allégeances. A l’image du grand peintre protestant Sebastien Bourdon qui ne peut gagner son pain quotidien qu’en se consacrant aux “idôlatreries” de la cathédrale de Montpellier, les artistes d’oc doivent se soumettre ou se démettre.

Souvenons nous des Jeux Floraux de Toulouse créés pour la langue d’oc au XIIième siècle, discriminant la langue d’oc au XVème, reconvertis en Collège de Rhétorique interdisant la langue d’oc le siècle suivant. Godolin et l’alternative baroque sûrent la re-imposer. Mais dès le milieu du XVIIème, les “beaux esprits” toulousains s’affublant du titre de “Lanternistes” créent les Conférences Académiques et batailleront 40 ans pour obtenir du roi une Académie des Jeux Floraux (1694) qui ouvrira ses concours à tous, sauf aux auteurs de langue d’oc.

Les “beaux esprits” biterrois eurent moins de chance. Ils ont dû attendre 1766 pour se voir octroyer une “Académie royale”, car, en plus des bégueules parisiennes, ils eurent à convaincre les bégueules montpellieraines qui avaient l’exclusivité languedocienne de ce titre depuis 1706. Depuis belle lurette, à Béziers, “las Caritats” avaient perdu leur théâtre (vers 1660). Quant à la Galère, elle avait été interdite une première fois en 1614 par les Consuls qui prirent ombrage d’un accident. La poussée populaire l’avait re-imposée l’année suivante. En 1661, c’est le clergé qui invoque l’incompatibilté de la Galère et d’un saint jubilé. Elle reviendra en 1662 pour un an seulement, car en 1663, un incendie criminel la détruit définitivement (jusqu’en l’an 2000 où elle reviendra... dans des formes qui mériteraient un débat).

A partir de 1660, tout le théâtre d’oc fait naufrage, à l’exception des “noëls” qui transposent dans l’Arcadie évangélique l’impossible créativité au présent. Il lui faudra un siècle pour renaître.

Simultanément à l’éteignoir des lettres pesa sur la culture d’oc ce que l’on nomme par euphémisme “la civilisation, ou la moralisation, des moeurs”. C’est dans cette seconde partie du XVIIème siècle que l’Eglise multiplia les condamnations des traditions “magico-spirituelles” comme le déplacement de la tuile au dessus du lit du mourant, la présence de pleureuses dans les enterrements, le brisement de l’écuelle sur le tombeau, les réjouissances de “l’apast” (repas funèbre)... qu’elle refusa le sacrement aux jeunes gens qui se livraient à certaines danses traditionnelles, aux époux qui acceptaient “le battage du soulier de la mariée” (comme préventif des conflits de ménage), aux familles qui recouraient aux “armiers” pour communiquer avec leurs défunts.

A compter de 1680, ce sont les consuls qui livrent bataille contre les droits coutumiers attribués aux “caps de jovent” : organisation des fêtes, arbitrage de conflits de voisinage ou inter-générationnels ou sexuels...

La pensée unique s’instituait dans l’Etat, comme dans le dogme, comme dans les us et coutumes participant au gouvernement des communautés. Un roi ! Un prêtre ! Un consul !... plus aucune place pour le bouffon qui crée la distance par le rire, pour le fou qui la crée par son innocence et pour le marginal qui l’induit par un autre chemin. La culture des peuples avait perdu une bataille de plus dans l’Histoire qui l’oppose à la culture des Etats. Restait la nature dans l’Homme et le poète, comme Molière qui “ne voulait pas la perdre d’un pas”... pour chercher quoi ?l

 

La résurrection méridionale de Molière

 

Cent ans plus tard, quand le théâtre d’oc renaît, Molière n’est plus dans l’actualité littéraire de la France. Paradoxalement, il influence les provençaux Jean de Cabanes (1653-1717) et Jean Baptiste Coye (1717-1777) le quercinois Fabre de Thémines (début XVIIIème) et le languedocien Daubian-Delisle (fin XVIIIème). (7)

 

Deux cent ans plus tard, quand la Comédie française n’arrive pas encore à fêter dignement le bi-centenaire de Molière, le moliérisme trouve de nombreux adeptes dans le sud de la France, dans la recherche biographique (Galibert , Baluffe...) comme dans l’émergence d’une tradition orale (D’Astanières, de Juvenel, Peytavi de St Christol, Alliès...) (7).

 

Trois cent aprés, quand Molière fait l’unanimité, la recherche littéraire occitane confirme

les déductions de Baluffe sur les occurences entre “le Dépit amoureux” (Molière) et “les Amours de la Guimbarde” (Théâtre de Béziers), entre “le Médecin volant” (Molière) et “la Pastorale du berger Célidor et de Florimonde, sa bergère” (Théâtre de Béziers), entre “l’Ecole des maris” (Molière) et “la Boutade de la Mode” (Théâtre de Béziers)...

Elle ajoute avec Etienne Fuzellier la possible comparaison entre les personnages de Tacan, Paulian et Catherine ( Zerbin : “Coumedié à 8 personatges”) et ceux du “Tartuffe” ou du “Malade imaginaire” (8) . Avec Robert Lafont, les parallèles sont tracés entre “les Précieuses ridicules” et “las Amors del bergier Floriset e de la bergiera Oliva” (Isaac Despuech-Sage), entre les personnages de Salcissòt et de Potinga